Tout comme vous, en cette période extra-ordinaire, je consulte plus que d’habitude les réseaux sociaux et j’ai vu passer à plusieurs reprises des messages disant que nous vivons une période d’intense combat entre l’ombre et la lumière et que la lumière allait vaincre. Euh… là je m’interroge, c’est quoi cette blague ?! A toutes celles et ceux qui sont dans ce « combat » et veulent voir la lumière triompher, je demande : « Êtes-vous sérieux, là ??? Que voulez-vous exactement voir émerger ? Imaginez-vous vraiment un monde sans ombre ? Autrement dit un jour où brille le soleil 24 heures sur 24, 365 jours par an ? Pensez-vous que la vie soit réellement possible dans de telles conditions ? » Ombre et lumière ne sont que les deux faces d’une seule et même réalité !
Bien sûr, moi aussi, comme beaucoup d’entre vous, j’aspire à un monde plus en paix, en harmonie, en équilibre et surtout plus équitable, mais en aucun cas je ne veux gagner un quelconque combat ! J’ai aussi mes parts d’ombre, tout comme mes côtés de lumière mais si je me mets à combattre mon ombre au lieu d’y plonger, de chercher à la connaître et voir ce que je peux transformer en moi et mettre en lumière, alors je ne suis qu’en lutte avec moi-même. Je vis un combat interne permanent et qu’ai-je alors à offrir aux autres, au monde ? Si ce n’est un déséquilibre et pour finir un champ de ruines !
Depuis de nombreuses années j’ai appris à accueillir mon ombre, à voir ce qu’elle voulait m’enseigner et à chaque part d’ombre ainsi révélée, j’ai laissé passer un peu plus de lumière en moi. Mais je sais que jamais je ne serai pure lumière… sinon j’aurais soit occulté une partie de moi jugée gênante, soit je me mentirais !
En ce temps de pause, je me suis alors replongée dans ma lecture favorite : les « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke et j’y ai retrouvé ce passage tellement explicite : « Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. (…) Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même (…) Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir. (…) Ainsi pour celui qui devient solitude, toutes les distances, toutes les mesures changent. » Cette rencontre avec nous-même nous est aujourd’hui imposée par cet arrêt forcé et c’est une vraie opportunité que nous devons saisir pour visiter nos ombres et en faire jaillir notre lumière et ne plus être dans cette dualité égotique, ne plus être dans ces jugements qui fragmentent et divisent.
Combattre ne fait que renforcer et nourrir ce que l’on cherche à vaincre. Un soir, il y a quelques décennies de cela, un ami m’a dit : « tout ce que tu cherches à maîtriser, c’est ce qui te maîtrisera un jour. » On pourrait transformer cela aujourd’hui en : tout ce que tu cherches à vaincre est ce qui te vaincra. En résumé, je peux dire que je suis comme le jour et la nuit, comme les deux faces d’une même pièce : un jour pile, un jour face, un jour le feu, un jour la glace… et c’est avec tous ces éléments que nous devons apprendre à jongler pour composer notre symphonie intérieure à réinventer chaque jour pour un peu plus d’harmonie.
Être en guerre contre quelque chose c’est la manifestation d’un égo guerrier qui a besoin de lutter pour se prouver qu’il existe, qu’il est courageux et plus fort que tout et que tous et qu’à lui seul il peut sauver le monde. Un peu d’humilité ne nous nuira pas !!! Car le monde n’a pas besoin de nous, il se sauvera bien tout seul !
Et comme le dit si justement Rilke : « Au fond, le seul qui courage qui nous est demandé est de faire face à l’étrange, au merveilleux, à l’inexplicable que nous rencontrons. » Ainsi pourrons-nous rayonner notre lumière et être pleinement qui nous sommes.
Et si ces jours de confinement, de ralentissement vous semblent difficiles à vivre, je conclurai avec ces mots du même Rilke : « Je ne puis que formuler une fois de plus le vœu que vous trouviez assez de patience en vous-même pour supporter, et assez de simplicité pour croire. (…) Pour le reste, laissez faire la vie. Croyez-moi, la vie a toujours raison. »
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