C’est en lisant le livre d’Edmond Jabès «Un étranger avec, sous le bras, un livre petit format» que cette réflexion m’est venue : qu’apprenons-nous sur nous-mêmes quand nous vivons à l’étranger, qu’est-ce que l’expatriation nous permet de révéler de nous-mêmes dont nous ignorions tout avant de changer de pays ? Est-ce que la citation d’Edmond Jabès se vérifie : «L’étranger te permet d’être toi-même, en faisant de toi, un étranger» ? Sommes-nous plus nous-mêmes à l’étranger, un autre nous-mêmes sans masque ? Et à quoi contribuons-nous dans notre pays d’accueil ? Y apportons-nous quelque chose de nous-mêmes, de notre culture susceptible d’être utile dans ce pays qui n’est pas le nôtre ?
Et quand nous quittons ce pays dans lequel nous avons passé plusieurs années, qu’emportons-nous de lui, comment et en quoi nous a-t-il transformé ?
C’est donc suite à cette lecture que j’ai commencé à faire le bilan de mes 17 ans d’expatriation et à me demander ce qui ce serait passé si j’étais restée toutes ces années en France.
Alors de ma première expatriation à Prague en 1994, je suis revenue avec une plus grande distance face aux petits tracas quotidiens qu’on rencontre en France et j’ai réalisé la chance que j’avais d’être née dans ce pays où, finalement, tout nous est accessible comme l’éducation ou la santé par exemple. Mais surtout cette première expatriation de trois ans m’a permis de comprendre ce que c’est qu’être l’autre, l’étranger. A cette époque la guerre de Yougoslavie n’était pas encore finie et j’ai croisé aussi beaucoup de réfugiés à Prague. Alors quand je suis rentrée en France, ça m’a semblé totalement naturel d’être formatrice bénévole et de donner des cours de français à ces réfugiés, d’autant que je savais trop bien ce que c’était qu’arriver dans un pays sans en maitriser la langue. Et comme la Vie met toujours sur notre route ce dont nous avons besoin pour évoluer, à force de donner ces cours, j’ai fini par changer d’orientation professionnelle pour en faire mon métier actuel. Donc ces trois années à Prague m’ont permis de me découvrir d’autres talents et notamment celui d’enseigner... qui allait, par la suite, être mon sésame pour toutes mes autres expatriations.
De mes 8 années de la Belgique à l’Allemagne en passant par le Luxembourg, j’ai fait l’expérience du travail en freelance et j’ai rencontré de très nombreux autres expatriés auxquels j’ai enseigné le français et nos échanges ont été riches d’enseignements, mais néanmoins ces deux pays ne m’ont pas profondément transformée, ni poussée à me poser des questions... peut-être parce que je n’ai pas été confrontée à de nouvelles langues et donc à devoir sortir de ma zone de confort et à vivre cette phase d’intégration par laquelle on passe tant qu’on ne parle pas la langue du pays hôte.
Et puis il y a des expatriations ratées, celles que l’on a fantasmées et qui ne se passent absolument pas comme on l’avait envisagé, puis qui virent au cauchemar. C’est ce que j’ai vécu en 2012 au Kirghizstan. Mais c’est justement lors de situations difficiles où chaque jour on se demande de quoi le lendemain sera fait, qu’on va au bout de nos limites et qu’on s’aperçoit qu’on a en soi des ressources insoupçonnées.
En plus de la patience, j’ai appris la confiance en la Vie, l’humilité et la gratitude lors de ces deux expatriations difficiles à Bichkek puis à Oulan Bator, en Mongolie. Je suis vraiment allée au bout de moi-même pendant ces deux années douloureuses. J’ai appris qu’il fallait tout perdre pour se rencontrer, se trouver réellement et être soi-même !
Depuis 2015, je vis à Moscou et même si je n’avais pas vraiment choisi cette destination au départ, aujourd’hui alors que je m’apprête à quitter la Russie pour la Turquie, je réalise que ce fut une expatriation réussie, sereine et qui m’a permis de retrouver un équilibre psychologique et financier. Vivre à Moscou m’a permis aussi de dépasser mes a-priori concernant les villes de plus de 10 millions d’habitants... qui m’apparaissaient comme invivables et inhumaines. Mais j’ai trouvé ici, de vrais petits havres de verdure et de calme. J’ai également découvert qu’on pouvait très bien s’attacher à un endroit qui, sur le papier, ne nous faisait pas rêver. Et surtout j’ai fait de belles rencontres et comme au Kirghizstan, je garde de ce pays une merveilleuse amitié.
Enfin, après 14 années passées non-stop hors de France, avoir appris deux nouvelles langues étrangères et une troisième en cours d’apprentissage, je me pose la question du lien que j’ai encore avec la France. Est-ce que je me sens encore vraiment française et qu’est-ce que cela signifie pour moi, à part un passeport ?
Apprendre une langue étrangère, c’est entrer dans une autre culture, c’est s’abandonner un peu soi-même pour essayer de mieux comprendre l’autre et pour cela on doit oublier nos propres références linguistiques et de fait, aussi un peu notre culture de naissance. Donc oui, j’ai un passeport français, mais je me sens plus comme un patchwork de tous les pays dans lesquels j’ai vécu et les langues que j’ai apprises.
Et aujourd’hui c’est grâce à toutes ces expatriations et ces voyages que j’ai acquis cette incroyable capacité d’adaptation qui me caractérise et cette faculté à m’étonner encore de tout ce que je découvre lors de mes pérégrinations.
Toute ma gratitude à tous ces pays qui m’ont accueillie, à toutes les personnes croisées sur ma route... vous m’avez rendue plus forte, plus ouverte, plus en phase avec moi-même !
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