Que l’on voyage ou que l’on s’expatrie, vient toujours le moment du départ, ce départ pour cet ailleurs dont on a longtemps rêvé avant de se décider à franchir le pas. Le moment du départ, c’est aussi celui des choix : choix de la destination si l’on voyage et des lieux que l’on souhaite visiter, puis choix de ce que l’on va mettre dans notre sac, choix, peut-être aussi, de nos compagnons de voyage. On part, on embrasse notre famille, nos amis, on se dit à très vite et profites-en bien ! Le départ est déjà presque une promesse de retour, du soleil plein les yeux et des souvenirs plein la tête. Le voyage tient toujours cette promesse : je reviendrai... plus ou moins vite.
Et si l’on s’expatrie, il faut choisir où se loger, ce que l’on emporte ou non, ce qui nous est absolument nécessaire. Mais vient très vite le moment où l’on s’aperçoit que l’on va quitter ceux qui nous entourent, ceux que l’on aime et commence alors la valse des au revoir, des «on reste en contact», etc. Puis vient le moment de faire le tour de tous ces lieux où l’on a nos petites habitudes et qui, c’est certain, vont atrocement nous manquer... mais ça, on s’en apercevra bien plus tard, pour le moment on est tout entier dans l’excitation de ce rêve d’inconnu. Alors on quitte son pays de naissance, c’est la première fois qu’on va vivre à l’étranger... et on se la répète, «je vais vivre à l’étranger» et cela fait de nous déjà un être à part pense-t-on, gonflé de joie et d’orgueil démesuré ! Ah qu’est-ce qu’on va en avoir des (belles) choses à raconter !
Puis vient le moment d’un autre départ, celui qu’on nomme «le retour». Retour de voyage ou retour au pays... mais toujours riche de cette expérience d’avoir été confronté à une autre culture, une autre langue, d’avoir du sortir de nos habitudes pour aller vers les autres. Cette expérience nous aura marqué à jamais, plus ou moins profondément. Et au fil des mois, on se réhabitue à notre pays, on retrouve avec joie nos repères... mais un jour arrive où voilà que ça recommence, ça nous reprend, ça s’agite en nous, ça pousse fort à l’intérieur de nous toute cette agitation, cette envie, ce besoin presque viscéral de repartir et s’expatrier de nouveau. Et hop, nous revoilà dans la ronde des visas, valises, démarches administratives et au-revoir again ! Et c’est là qu’il s’en trouve toujours l’un ou l’autre pour vous demander : «mais pourquoi tu repars ? T’es pas bien en France ? Tu cherches quoi là-bas ?» Comment lui expliquer que c’est sans doute tout simplement moi que je vais chercher dans cet autre pays, dans cette confrontation avec mes limites ? Alors tu réponds juste : «j’adore ce pays, c’est tout.»
Et un jour on s’aperçoit que rentrer au pays devient impossible, parce que désormais on a pris avec soi un peu de chacun des pays visités, de ceux où l’on a habité et que le virus de l’expatriation est en soi... comme une seconde nature, ou plutôt non, comme notre vraie nature, notre mode de vie. Alors entre deux expatriations on ne prend même plus le temps de rentrer dans notre pays natal. Et là on découvre que l’on s’est attaché au pays dans lequel on vit désormais, qu’on y a des ami(e)s, des habitudes aussi et, qu’une fois encore, il faut quitter tout cela, même certaines choses que l’on n’appréciait pas forcément au début et qui, finalement vont aussi nous manquer.
Je suis là, à quelques semaines de quitter la Russie, à tapoter cet article sur mon clavier d’ordinateur et je me dis que si l’hiver moscovite ne me manquera pas, il y a certaines choses qui me manqueront fortement comme les soirées passées au Bardak (un resto-café turc, si si ça existe à Moscou !) avec ma meilleure amie russe, le marché Izmaïlovo, le métro, la Place Rouge, les vatrouchkas et... les anchois séchés pour l’apéro ! Et puis il y a ces petits mots amusants que je ne dirai plus, comme счет («chiottes») pour demander l’addition au restaurant, mais je les emporte dans mes bagages et ils feront partie de mon dictionnaire français perso car ils ne font rire que moi !
Mais le moment du départ, c’est aussi celui du bilan, celui où l’on se demande ce que ce pays nous a apporté, ce qu’il a changé en nous, ce qu’il nous a permis de découvrir, d’expérimenter et surtout comment et en quoi il nous a aidé à évoluer et à grandir.
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